Quel cheminent peut-il mener d’un enfant, d’un golfeur invétéré, d’un club et d’une balle de golf à un jamaâ’ ou m’sid* ? C’est le jeu de piste auquel s’est livré Abdejlil Lahjomri à travers « La légende de Bagger Vance » qui débouche sur une découverte : Un parcours de golf peut être un parcours initiatique. A partir de là, le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, comme à son habitude, c’est-à-dire sans avoir l’air d’y toucher, nous entraine dans un parcours parfait sur, une fois encore, les sentiers des sciences de l’éducation.
J’ai longtemps hésité à vous entretenir de ce récit à la fois étonnant et déconcertant qu’est « La Légende de Bagger Vance», de Steven Pressfield. Depuis la publication de « L’Alchimiste » de Paulo Coelho, tout un courant spiritualiste privilégie comme genre littéraire le roman d’initiation. Il retrace ainsi des parcours initiatiques qui sont autant de quêtes du moi véritable dans un univers dérangé, calciné et vicié. Quête de ce que Paulo Coelho appelle « la légende personnelle ». Et le récit de Steven Pressfield en est un. Certes, c’est faire une concession à l’air du temps que d’en parler, mais un récit qui traite du sens de l’existence, de la victoire sur soi-même, de la vertu, de la pureté, mérite d’être signalé à tout lecteur sensible à la dimension spirituelle de notre existence en ce monde. Ce qui m’a fait hésiter, c’est que « La légende de Bagger Vance » aborde ces problèmes existentiels, et métaphysiques, en choisissant une perspective inattendue. Ce roman, curieusement, fait le récit d’un « match de golf », et un parcours de golf ne m’a jamais, avant cette lecture, fait penser à un parcours initiatique.
Et pourtant, ce conte philosophique vous apprendra que chaque fois que vous allez fréquenter les links d’un golf, ce sera une aventure spirituelle qui vous attend, et que ce sera un voyage vers votre moi authentique que vous effectuerez.
Je savais les auteurs américains maitres dans l’art de « fabriquer » des récits surprenants, avec des recettes consommées pour maintenir éveillée l’attention du lecteur. Mais j’avais toujours trouvé ennuyeux les romans qui traitent de la thématique sportive. Steven Pressfield m’a réconcilié avec ce genre de littérature et fait découvrir que le sport peut être un intéressant sujet romanesque et que, s’il y a une spiritualité dans chaque sport, du football au tir à l’arc, il y a dans le golf ce quelque chose d’impalpable, d’indéfinissable, qui fait que la spiritualité y est plus intense et qu’un « match de golf » peut se raconter comme un roman riche en péripéties et « produire » finalement un texte agréable à lire.
Le lecteur y découvrira que, contrairement aux autres sportifs, « le golfeur ne tire nul désavantage direct des actions de son adversaire. Il en vient à comprendre que le jeu ne se joue pas contre un autre ennemi que lui-même,’ son moi… ce moi terrible… qui se paralyse et retient ses coups, le moi des balles topées, ou talonnées, le moi des grattes, le moi de tous les coups catastrophiques. C’est ce moi-là qu’il faut vaincre… ».
Et remporter chaque jour une victoire sur soi-même, n’est-ce point le but de toute existence ? Ce roman, sous prétexte de nous parler de golf, parle en réalité de vie. Le’ match d’exception’ qui est le thème central, n’en est point le sujet véritable. Ce sport pourrait donc se « lire » comme une métaphore de la vie. Chaque expérience, sportive, pourrait être vécue ainsi dans le sens d’un accomplissement de soi. « Notre travail ici-bas sera » donc « de nous rappeler notre âme, de devenir ce qu’elle est. De former une union avec elle, un yoga, ainsi qu’on dit en Inde ».
Une des scènes les plus remarquables de ce récit me rapproche, en vérité, de la raison qui m’a amené à discourir sur « La légende de Bagger Vance » dans cette chronique. C’est la scène de la balle qui « bougea ». Tout joueur de golf averti sait qu’avant chaque coup la balle ne doit ni bouger, ni être déplacée, qu’une pénalité l’attend chaque fois que cela arrive, et qu’il peut perdre à cause de cela. Sous le regard d’un enfant admiratif, le personnage central, connaît cette mésaventure. Mais au moment de l’incident, personne, mais vraiment personne, n’a vu la balle bouger : il y a le regard de l’enfant, et puis le joueur en face de lui-même. Dans son innocence, et son admiration, l’enfant voulait que son héros gagnât. Qu’allait faire le joueur ? Voilà ce que dit l’enfant : « Mon cœur cessa de battre… Impossible ! ce n’était pas juste ! Ces deux dixièmes de seconde n’étaient pas écoulées que mon esprit embrassa une terrible alternative… Nul n’avait vu bouger la balle… ! Il n’y avait que Junah et moi… Nul ne le saurait. Nous pouvions mentir ! Faire comme si rien ne s’était produit ! Jouer la balle sans rien dire ».
Mais (à la déception de l’enfant encore innocent) le joueur ne joua pas la balle. Il demanda une pénalité contre lui-même, perdit le match, renonça à l’ivresse factice des podiums et remporta ce jour-là une victoire sur le mensonge et la dissimulation.
Mais il y avait le regard de cet enfant (qui deviendra plus tard le narrateur de ce récit), et l’enfant n’oublia jamais cette scène.
N’oublia pas surtout qu’il reçut à ce moment-là un « enseignement », la quintessence de tout enseignement que les moralistes de par les siècles ont toujours privilégié comme le but même de l’éducation : Se connaître soi-même, pour devenir chaque jour meilleur, par le refus du mensonge et l’exigence de la vertu. C’est, comme vous le savez, un vieil enseignement toujours actuel. C’est ce qui était inscrit sur le fronton de l’Oracle de Delphes, et que Socrate a choisi comme le principe fondateur de la maïeutique : le fameux « connais-toi toi-même ».
Détruire l’inauthentique pour révéler l’originel, puis l’original (dans le sens du particulier, de l’inédit). C’est cela l’ultime but de tout processus éducatif. Il y a certes l’instruction, la « science », toute la technique de « l’apprentissage », mais il y a autre chose : l’accomplissement de soi par l’accomplissement de sa « légende personnelle », et cet accomplissement ne peut être réussi que par la pratique quotidienne du « connais-toi toi-même ».
En définitive, on oublie le golf, et on réapprend, à la lecture de « La légende de Bagger Vance », ce qui de toujours a été le crédo de chaque expérience éducative : l’apprentissage de soi précède l’apprentissage tout court. Mieux, comme disaient dans leur sagesse, nos aïeux :
Ici Texte en arabe : التربية كَتَسْبق الجامع
*Ecole coranique
August 16, 2020 at 12:52AM
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Le golf, le M'sid et la légende de Bagger Vance de Steven Pressfield (Par Abdejlil Lahjomri) - quid.ma
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Le golf
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