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Gérald Kierzek: «Le masque est un gadget politique qui éclipse la crise générale du système de santé» - Le Figaro

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Alors que le gouvernement n'exclut plus un retour au masque obligatoire, le médecin urgentiste plaide pour des mesures plus adaptées et une vision de long terme. Selon lui, une réorganisation de l'hôpital public est nécessaire.

Gérald Kierzek est médecin urgentiste et chroniqueur santé, directeur médical de Doctissimo. Il est l'auteur de «Votre santé dans le monde d'après - Préparez-la aujourd'hui !», aux éditions du Rocher (304 p., 18,90€).

FIGAROVOX. - Face au risque d'une triple épidémie (Covid-19, Grippe, Bronchiolite), le gouvernement envisage de rétablir le port du masque obligatoire. Cette mesure est-elle réellement appropriée à la situation ? Peut-elle endiguer une nouvelle vague ?

Gérald KIERZEK. - Il faut déjà expliquer cette notion de triple épidémie, particulièrement anxiogène, qui ne correspond pas forcément à la réalité. Il y a deux populations très différentes touchées par les virus saisonniers (grippe, bronchiolite) et qui n'ont ni les mêmes risques, ni les mêmes destinations hospitalières. En effet, grippe et Covid concernent surtout des adultes fragiles, souvent âgés, malades chroniques et/ou souffrant d'obésité, alors que la bronchiolite touche essentiellement des nourrissons, ou enfants de moins de deux ans. Les services hospitaliers potentiellement saturés ne sont pas les mêmes, puisque les premiers sont reçus par des services adultes, alors que les seconds sont dirigés vers des services de pédiatrie. Les capacités hospitalières et le personnel dédié, médical ou paramédical, sont distincts et non interchangeables. Il serait donc faux et particulièrement angoissant pour la population de dire que ces épidémies s'additionnent en termes de pression sur l'hôpital.

En revanche, les difficultés structurelles sont réelles dans tous les services hospitaliers, et il faut insister sur les mesures de prévention pour diminuer l'impact des virus Covid/grippes (vaccination des plus fragiles, mesures barrières…), et du virus de la bronchiolite chez les enfants (mesures barrières, utilisation du masque pour s'occuper du bébé en cas de rhume, éviter de fréquenter des lieux publics comme les supermarchés, restaurants et transports en commun…).

L'obligation du port masque, en particulier dans les transports en commun, n'a plus de sens pour différentes raisons. Ses bénéfices n'ont jamais été formellement démontrés pour endiguer une épidémie : les virus de l'hiver sont particulièrement contagieux, masque ou pas ; le benchmark avec des pays ayant maintenu l'obligation dans les transports comme l'Allemagne démontrent que les vagues de contamination n'ont pas été enrayées ; enfin, le masque ne remplace en rien des gestes barrières plus simples, comme le lavage des mains ou l'aération efficace, notamment dans les lieux clos familiaux ou professionnels, principaux lieux de contamination ; pire le masque mal utilisé, enlevé et remis n'importe comment, donne un sentiment de fausse sécurité et de relâchement d'une hygiène minimale.

Miser sur la prévention pour lutter contre le diabète, la sédentarité, ou encore l'obésité, nous protégera mieux contre le Covid que le port du masque obligatoire.

Gérald Kierzek

Par ailleurs, les inconvénients du masque chez les enfants ou dans les interactions sociales ne sont pas à négliger, de même que le climat d'anxiété qu'il génère. Encore une fois, les mesures prises doivent être efficaces, proportionnées et tenables sur le long terme, puisque nous devons vivre naturellement avec ces virus et développer un équilibre immunitaire. Inculquer des réflexes simples comme porter un masque quand on est malade semble raisonnable et les plus fragiles d'entre nous doivent se protéger (vaccination Covid et grippe et port du masque FFP2 en lieux clos si besoin). Les autres doivent vivre normalement.

La question du port du masque occulte-t-elle l'autre question de la situation de l'hôpital public ? S'est-elle améliorée ces derniers mois ?

Oui, le masque est un gadget politique et de communication qui permet aux autorités de montrer qu'elles ne sont pas passives face à une montée des contaminations ! Rappelons que le chiffre des contaminations n'est plus l'indicateur à suivre et que seule la tension hospitalière est pertinente. Suivre les «vagues» de contamination n'a plus de sens - il faudrait d'ailleurs réduire drastiquement le nombre de tests réalisés - et conduit le politique à réagir face à un emballement de cas qui montent inévitablement et redescendront immanquablement quelles que soient les mesures prises ! Remettre le masque est la mesure la plus facile à dire mais malheureusement sans effet ni conjoncturel ni structurel.

Je ne peux que regretter que l'ensemble de la gestion de la crise COVID ait «masqué» les deux problèmes majeurs: le manque de prévention globale sur l'état de santé, et la crise du système de santé dans son ensemble. Le SARS-Cov2, virus de la Covid, n'est qu'un révélateur de la fragilité de nos populations. Vieillissement, montée de l'obésité, chronicisation des maladies sont autant de facteurs de risque et de vulnérabilité. Notre espérance de vie augmente, mais celle en bonne santé stagne et s'enlise. La Covid est plus une syndémie qu'une pandémie pour reprendre les termes de Richard Horton, le rédacteur en chef du plus célèbre journal médical britannique, The Lancet. Miser sur la prévention pour lutter contre le diabète, la sédentarité, ou encore l'obésité, nous protègera mieux contre la Covid et les menaces futures.

Les professionnels motivés et pertinents fuient l'hôpital, par choix mais le plus souvent par dépit. Il est urgent de les remotiver en leur redonnant le pouvoir de décision et en misant sur la bientraitance.

Gérald Kierzek

Quant à la crise hospitalière et des professions de santé dans leur ensemble, elle est majeure. On s'est trompé d'objectifs en voulant faire des économies à tout prix et en plaçant des gestionnaires en décisionnaires. Les dépenses de santé sont avant tout des investissements pour l'avenir et un facteur de consentement à l'impôt. Les Français seraient même prêts à payer plus à condition que le service en regard soit à la hauteur et ce n'est plus le cas. Les soignants, quant à eux, doivent être remis dans les instances de gouvernance, pour ne pas subir des décisions arbitraires et souvent contraires à leur déontologie professionnelle et au sens de leur engagement.

En novembre le collectif Inter-hôpitaux, dans une tribune au « Monde », dénonçait l'insuffisance des moyens alloués à l'hôpital dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023. Les 4,1 % de hausse du budget sont-ils suffisants ? Le gouvernement a-t-il tiré des leçons de la crise sanitaire ?

L'impression est que les mesures prises sont court-termistes et ne repensent pas le système de santé dans son ensemble. La réforme à faire est de l'ampleur de celle qui avait été faite en 1958, dite «réforme Debré», qui avait créé les Centres Hospitalo-Universitaires (CHU) et repensé les carrières pour attirer les professionnels. L'organisation actuelle est désuète tant sur le plan du maillage territorial, de l'évolution des carrières que des coopérations sanitaires. Au-delà des questions d'argent, il faut une vision d'ensemble et réimpliquer tous les acteurs (professionnels, patients-citoyens, politiques, administration…) avec comme règles : la confiance et la responsabilité.

Le gouvernement hérite d'un système qui a progressivement dérivé depuis des décennies et ne satisfait plus personne. La concurrence et l'individualisme se sont substitués à la solidarité et à l'égalité d'accès aux soins, créant frustrations, démotivation mais aussi des rentes de situation injustes. Quant à l'argent, il existe et pourrait être mieux utilisé. Dernier exemple en date, le traçage des «cas contacts» exposés au Covid-19 aurait coûté plus de 600 millions d'euros depuis le début de l'épidémie comme le souligne la Cour des comptes avec une «efficacité incertaine» du dispositif. Et il y a tant d'exemples dans le système de santé !

Par-delà la question des moyens, faut-il réorganiser l'hôpital public ? Comment ?

Maillage territorial et gouvernance sont deux clés essentielles. En fonction de l'endroit où vous habitez, de vos moyens ou de votre carnet d'adresses, vous êtes plus ou moins bien soignés et avez plus ou moins de chances en cas de pépin de santé. C'est inadmissible ! La gradation des soins avec une médecine ambulatoire «de ville» (niveau 1), un hôpital (et maternité) de proximité (niveau 2), et un hôpital spécialisé voire ultra-spécialisé (niveau 3) est nécessaire.

Cette organisation est propre à chaque territoire et devrait être pensée à l'échelle régionale par exemple. Les Agences Régionales de Santé dans leur organisation actuelle, purement bureaucratique, sont inopérantes alors que la Région est probablement le bon échelon de réforme. Quant à la gouvernance (qui décide), elle a exclu ceux qui pratiquent les soins au profit d'une caste médico-administrative totipotente et déconnectée du terrain. Les professionnels motivés et pertinents fuient l'hôpital, par choix mais le plus souvent par dépit. Il est urgent de les remotiver en leur redonnant le pouvoir de décision et en misant sur la bientraitance.

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